Presse-Christophe-de-Quenetain-La-Tribune-de-l-Art

La Tribune de l’Art

2016

Bénédicte Bonnet Saint-Georges, « Appel au mécénat : des Sèvres pour Fontainebleau », La Tribune de l’Art, 30 août 2016 :

« – Souscription – Fontainebleau, Musée Napoléon – C’est un ensemble exceptionnel de porcelaines du XIXe siècle qu’a réuni le New-Yorkais Richard Baron Cohen pendant plus de vingt ans. Réputée non seulement pour la quantité (plusieurs milliers), mais aussi pour la qualité et la provenance prestigieuse de ses œuvres, cette collection baptisée « Twinight » a été exposée plusieurs fois, notamment au Metropolitan muséum en 20081 et au musée de Sèvres en 20092. Mais le collectionneur a décidé de vendre ses porcelaines. Il en avait mis certaines aux enchères ces dernières années, par exemple chez Fraysse et associés le 3 décembre 2014. Aujourd’hui, il donne la préséance au Château de Fontainebleau qui souhaite lui acheter un florilège de pièces du Premier Empire réalisées par la Manufactures de Sèvres – quarante-six au total – pour le Musée Napoléon Ier qu’il abrite en ses murs3. Pour ce faire, une souscription sera lancée entre le 8 septembre et le 9 octobre 2016 et il sera possible de voir ces pièces, classées « d’intérêt patrimonial majeur », à la galerie Aveline, à Paris. Ce classement entraîne 66 % déduction fiscale pour un particulier et 90 % pour une entreprise. L’ensemble des œuvres que Fontainebleau souhaiterait acquérir est estimé à près de trois millions d’euros, divisé en sept lots afin d’encourager les mécènes.

Le premier est constitué d’une seule pièce, un vase orné d’un côté du portrait en camée d’Auguste peint par Jean-Marie Degault, et de l’autre d’un aigle ; il est chiffré 350 000 euros (ill. 1). Il s’agit d’un vase « fuseau » inspiré de la silhouette d’une amphore antique à laquelle on aurait ajouté un pied et deux anses. Il forme une paire avec un vase orné du profil de Jules César qui sera quant à lui acquis par le Château de Fontainebleau avec l’aide du Fonds du patrimoine et de la Société des Amis du château. Ces pendants étaient destinés au Palais du Quirinal à Rome, devenu palais impérial de Monte Cavallo après l’annexion des États pontificaux en 1809 par la France, où Napoléon fit aménager un appartement pour« le roi de Rome ».

Le deuxième lot, lui aussi, ne comporte qu’un seul vase fuseau, orné d’une effigie bien différente, celle de Marie-Louise peinte par Abraham Constantin d’après un portrait de François Gérard (ill. 2). Rare représentation non officielle, ce portrait montre non pas une impératrice, mais une dame élégante vêtue d’une robe de velours noirs et d’un chapeau aux plumes blanches vaporeuses, présentée en buste devant un paysage et se tournant vers le spectateur avec naturel. Le reste du vase est richement orné de motifs en or et platine sur fond bleu. Il fut offert par Napoléon à sa belle-sœur Catherine de Wurtemberg, épouse de Jérôme de Bonaparte, au nouvel an de 1814, peu après leur fuite de Westphalie4. Son prix de vente est de 450 000 euros.

Catherine était encore reine de Westphalie lorsqu’elle fut représentée sur la tasse d’un cabaret réalisé en 1812. Un cabaret, rappelons-le, est un assortiment de tasses sur un plateau. Celui-ci est un véritable portrait collectif, déployant les membres de la famille impériale sur chacune des porcelaines qu’il réunit. Ces effigies ont été peintes par Marie-Victoire Jaquotot et Pierre-André Le Guay (voir l’article) : Napoléon et Marie-Louise apparaissent sur la théière ; le roi de Rome et sa marraine Caroline, reine de Naples, figurent sur le sucrier ; le pot à lait est doté du portrait d’Elisa, grande duchesse de Toscane ; enfin les tasses déclinent les princesses, Hortense, Pauline, Catherine. Cet ensemble exceptionnel, pour lequel il faut réunir 500 000 euros, fut offert en 1813 en guise d’étrennes, par l’impératrice Marie-Louise à Madame Mère (ill. 3).

Le quatrième lot regroupe, pour 400 000 euros, dix-sept éléments du service du prince Borghese (ill. 4) – une douzaine d’assiettes, les unes « à potage », les autres « plates ordinaires », et cinq pièces de forme « étrusque », corbeilles, seaux à bouteilles, verrières étrusques – qui rejoindront au Château de Fontainebleau des éléments du service en vermeil réalisé par Biennais pour Camille Borghese et Pauline Bonaparte, son épouse. Beau-frère de Napoléon, le prince était aussi gouverneur général des départements au-delà des Alpes.

Le lot numéro cinq est celui qui est vendu le plus cher (900 000 €) : il s’agit du « déjeuner égyptien » réalisé en 1810-1812, offert par Marie-Louise à la duchesse de Montebello, sa dame d’honneur (ill. 5). Ce déjeuner est orné de vues tirées de l’ouvrage de Vivant Denon Voyage dans la Basse et Haute Egypte . Les soucoupes des six tasses arborent des bustes d’hommes en costume égyptien. Les anses du sucrier sont des têtes d’ibis et la théière est de forme égyptienne avec un bec en serpent ; on n’en connaît pas d’autre exemplaire semblable. La manufacture de Sèvres créa sept cabarets égyptiens comme celui-ci, à la fois différents et tous illustrés à partir du Voyage de Vivant-Denon. Le premier fut donné par Napoléon Ier au tsar Alexandre Ier en 1808, le deuxième à Josephine, le troisième fut livré pour le mariage de Napoléon et Marie-Louise d’Autriche aux Tuileries. L’impératrice en donna quant à elle aux dames de son entourage.

À la duchesse Montebello, elle offrit aussi, en guise d’étrennes, une tasse et sa soucoupe, ornée de son portrait : l’impératrice est représentée parée d’un diadème et d’un collier exécutés par Nitot. Cette tasse sera exposée en regard de celle ornée du portrait de Marie-Thérèse d’Autriche qui fut offerte à Marie-Louise lors de sa première visite à la manufacture de Sèvres en 1810. La comtesse de Montalivet reçut elle aussi des étrennes de l’impératrice, et notamment en 1812, une coupe hémisphérique ornée de deux scènes peintes par Swebach (ill. 6) : l’une montre les Apprêts d’une course, et l’autre une Course de chevaux au Champ de Mars ; les deux scènes forment une bande continue autour de la coupe. On ne trouve pas de pièce équivalente à celle-ci. Ces deux cadeaux d’étrennes forment le sixième lot, pour 110 000 euros.

Enfin le septième et dernier lot comprend huit assiettes appartenant à trois services différents. Deux d’entre elles, peintes par Jean Georget, appartiennent au service Olympique fabriqué entre 1803 et 1806 pour l’empereur, qui doit son nom aux sujets des histoires des dieux de l’Olympe, en l’occurrence Mercure et Psyché, et Vénus blessée portée par Adonis (ill. 7). Il décorait la table du palais des Tuileries à l’occasion du mariage de Caroline de Wurtemberg avec Jérôme Bonaparte, en 1807. L’année suivante, Napoléon offrit ce service au tsar Alexandre après la signature du Traité de Paix de Tilsit, et la plupart des pièces se trouvent aujourd’hui en Russie. Deux assiettes du service « marli rouge, papillon et fleurs » ornaient la table de l’empereur à Fontainebleau à partir de 1809 déployant chacune les ailes d’un papillon différent. Le musée conservait déjà sept pièces de ce service, c’est l’occasion de compléter l’ensemble (ill. 8). Enfin quatre assiettes du service « marli d’or » fabriqué à Sèvres à partir de 1805 (le marli désigne la bordure d’une assiette). Ce service, qui permettait de faire des présents – cadeaux diplomatiques, étrennes, pouvait être décoré d’une multitude de sujets : scène d’histoire, paysages, motifs floraux…. Deux des assiettes sont ainsi ornées de vues topographiques, l’une La vue de la Cascade dans le parc de Napoleonshöhe fait référence au royaume de Westphalie, et l’autre la Vue de Boppard sur les bords du Rhin rappelle le rattachement de la rive gauche du Rhin à l’Empire (ill. 9). Deux autres assiettes illustrent dans un style néoclassique Le Sacrifice d’Esculape et L’Éducation incarnée par une mère, son fils et un soldat traçant une figure géométrique sur le sol (ill. 10).

L’exposition « Des Sèvres pour Fontainebleau » se tiendra du 8 septembre au 9 octobre 2016 à la Galerie Aveline, en collaboration avec Camille Leprince & Michel Vandermeersch et Christophe de Quénetain, au 94 rue du Faubourg Saint-Honoré, place Beauvau, 75008 Paris. »