La Tribune de l’Art
2015
Bénédicte Bonnet Saint-Georges, « Un coffret brodé du XVIe siècle acquis par Ecouen », La Tribune de l’Art, 29 janvier 2015 :
« 29/01/15 – Acquisition – Ecouen, Musée de la Renaissance – « De Pharaon, la fille en s’esbattant / Voit adhérant les joncs une nacelle : / Dedans laquelle était un bel enfant / Qui l’adoptant le fit nourrir pour elle. »1 Le Château d’Ecouen expose un nouvel objet d’art dans la chambre de Madeleine de Savoie, acheté à la galerie Christophe de Quénetain avec l’aide du Fonds du Patrimoine : un coffret brodé de la fin du XVIe siècle, dans un état de conservation remarquable. Les cinq faces sont ornées de broderies au petit point illustrant des épisodes de la vie de Moïse tirés du Livre de L’Exode. Elles ont été réalisées d’après les gravures sur bois que Bernard Salomon (vers 1508-1551) conçut notamment pour les Quadrins Historiques de la Bible, ouvrage dans lequel chaque vignette est accompagnée d’un quatrain de Claude Paradin, qui fut publié en 1553 par l’éditeur lyonnais Jean de Tournes. Celui-ci utilisa les compositions de Salomon dans plusieurs livres. Sur le couvercle du coffret est représentée un scène plutôt rare : le prêtre Jethro donne à Moïse la main de sa fille Sephora. Ce choix suggère que l’objet fut probablement réalisé à l’occasion d’un mariage. Sur les côtés, deux scènes détaillent la naissance de Moïse, les deux autres racontent son entrée dans l’âge adulte. On voit tout d’abord des hommes qui exécutent l’ordre de Pharaon (ou bien se lamentent) : noyer tous les nouveaux-nés mâles du peuple Hébreu (ill. 2). La scène suivante, beaucoup plus répandue, montre Moïse sauvé des eaux par la fille du Pharaon (ill. 3). Une fois adulte, Moïse fut le témoin des travaux pénibles imposés aux Hébreux. Il vit un Égyptien qui frappait l’un d’entre eux, alors il le tua et le cacha dans le sable (ill. 4). Le lendemain, ils rencontra deux Hébreux qui se querellaient. « Il dit à celui qui avait tort : Pourquoi frappes-tu ton prochain ? Et cet homme répondit : Qui t’a établi chef et juge sur nous ? Penses-tu me tuer, comme tu as tué l’Égyptien ? Moïse eut peur, et dit : Certainement la chose est connue »2. Alors il s’enfuit.
Les broderies sont fidèles aux gravures, bien qu’elles resserrent la composition sur les personnages, elles ont gardé ces vastes paysages rythmés de villes aux architectures monumentales. On reconnaît le trait de Salomon, ses silhouettes effilées et dynamiques3, presque dégingandées, aux gestes éloquents. Salomon fut actif à Lyon à partir de 1540 comme peintre, dessinateur et graveur ; il eut une influence certaine sur ses contemporains comme Pierre Eskrich qui fut graveur et brodeur, une influence que l’on retrouve jusque dans les travaux d’émail d’autres artistes.
Ce coffret, de dimensions relativement réduites porte sur le liseré du couvercle les armes d’une famille, identifiée à celle de François Goulard (cela reste à confirmer), nommé en 1567 gentilhomme ordinaire de la chambre du duc d’Anjou, futur Henri III. Il servait à contenir des papiers, des objets précieux, ou des objets de toilette (miroir, peigne…) ce qui explique qu’on le désigne également comme une « cassette de nuit ». Le Musée du Louvre conserve un coffret du XVIIe siècle recouvert d’une broderie de laine de soie, d’or et d’argent au chiffre de Marie de Médicis qui n’est pas ornée de scènes narratives, mais de feuillages finement décrits.
Notes 1. Claude Paradin, Quadrins Historiques de la Bible, 1553. 2. Exode, II, 13-14. 3. Lire Estelle Leutrat, Les débuts de la gravure sur cuivre en France : Lyon 1520-1565. »