L’Objet d’art
2023
Vincent Bouat-Ferlier, « Sculpter la Marine », L’Objet d’art, n° 598, mars 2023, pp. 58-63 :
« Les arsenaux de la Marine de guerre détiennent, aux XVIIe et XVIIIe siècles et jusqu’aux derniers feux de la marine en bois, au tournant du XIXe siècle, un savoir-faire artistique rare, celui de la sculpture navale. Une magnifique allégorie de la Marine en marbre blanc par Antoine-François Vassé (1681-1736), très admirée à la Tefaf de Maastricht l’année dernière, témoigne de la virtuosité des artistes formés dans les arsenaux. On ne peut qu’appeler de nos vœux l’entrée d’une telle œuvre dans les collections du musée national de la Marine qui rouvrira ses portes à l’automne après une rénovation complète. (…)
L’allégorie de la Marine d’Antoine-François Vassé
Les arsenaux deviennent donc des centres de forma- tion qui marquent durablement les artistes. Le cas d’Antoine-François Vassé en est un bon exemple. Originaire de Toulon où il naît en 1681, Vassé exerce avec le même bonheur la sculpture et le dessin. Son inven- taire après-décès, conservé aux Archives nationales, mentionne la présence de plusieurs feuilles de Puget ou Renaud Nevière à son domicile, dont certaines ayant trait à la Marine. Mais surtout, en 1723, Vassé présente pour sujet d’agrément à l’Académie royale de peinture et de sculpture une allégorie de la Marine. Par ce sujet inattendu, Vassé rend hommage à sa formation. La version en marbre de l’œuvre est conservée par l’artiste. Elle figure dans son inventaire après-décès. Ce marbre reste dans la famille au moins jusqu’en 1772, date à laquelle on le retrouve dans l’inventaire après-décès de son fils Louis-Claude. L’œuvre passe en- suite dans les collections des ducs de Cossé-Brissac avant d’être saisie à la période révolutionnaire.
Une iconongraphie complexe
En plus de retracer la destinée de l’œuvre, les archives nous éclairent sur son iconographie. La rareté du sujet explique sans doute la raison pour laquelle les Procès-verbaux de l’Académie royale de peinture et de sculpture l’identifient alternativement comme une allégorie de la Marine, du Commerce ou encore comme Vénus et l’amour. Il faut convenir de la complexité de l’ensemble, qui présente notamment une figure féminine dirigeant au moyen d’un timon une embarcation prenant la forme d’une conque. Assise sur une caisse de marchandises et foulant aux pieds un arc brisé, Vénus semble incarner une Marine commerciale, plus calme que belli- ciste. On retrouve d’ailleurs dans l’hôtel de Toulouse, actuellement occupé par la Banque de France, une allégorie de la Marine que Vassé a réalisée dans la même veine pour orner la galerie dorée de l’amiral de France, comte de Toulouse, fils légitimé de Louis XIV. En 1728, les Procès-verbaux de l’Académie royale de peinture et de sculpture mentionnent, à l’occasion de la commande faite à Jean-Baptiste Lemoyne, la déno- mination de « groupe de la Marine » : en face de cette dernière, c’est un Neptune réalisé par Lemoyne qui devra prendre place, contrepied viril de la délicatesse féminine de l’œuvre de Vassé. La date de réalisation du plâtre, 1723, et l’évocation pacifique de la Marine confortent l’idée d’une Marine tournée vers le commerce : l’arc brisé évoque tout à la fois la période pacifique de la fin de la Régence et du début du règne de Louis XV et la prospérité tournée autour du commerce colonial. Ce que Vassé livre ici, c’est une représentation apaisée de la navigation, presque onirique, assez éloignée des dessins plus martiaux auxquels son activité toulonnaise l’avait habitué. Une réalisation originale donc, qui tranche avec les guerres de la fin du règne de Louis XIV et incarne les espérances de paix et d’abondance de la Régence. Si ce marbre n’est jamais présenté à l’Académie, son histoire en revanche offre un lien particulièrement fort avec la Marine. Le groupe est en effet conservé dans les collections des barons Robert-Philippe-Gustave puis Alain de Rothschild, dans leur hôtel de Marigny, sur l’avenue du même nom. C’est là que se trouve aujourd’hui l’État-major particulier du président de la République dirigé par un marin, l’amiral Rolland. Quel heureux hasard de l’histoire de constater que la Marine a été amenée à orner, par deux fois, l’hôtel de Marigny ! (…) Antoine-François Vassé, La Marine, 1723. Marbre, 83 x 63 x 42 cm. Collection particulière. © Christian Baraja / Christophe de Quénetain / TEFAF Maastricht 2022 (…) »